Les sociétés primitives sont des sociétés sans État : ce jugement de fait, en lui-même exact, dissimule en vérité une opinion, un jugement de valeur qui grève dès lors la possibilité de constituer une anthropologie politique comme science rigoureuse. Ce qui en fait est énoncé, c’est que les sociétés primitives sont privées de quelque chose – l’État – qui leur est, comme à toute autre société – la nôtre par exemple – nécessaire. Ces sociétés sont donc incomplètes, Elles ne sont pas tout à fait de vraies sociétés – elles ne sont pas policées – elles subsistent dans l’expérience peut-être douloureuse d’un manque – manque de l’État – qu’elles tenteraient, toujours en vain, de combler. Plus ou moins confusément, c’est bien cela que disent les chroniques des voyageurs ou les travaux des chercheurs : on ne peut pas penser la société sans I’État, l’État est le destin de toute société.